« En avril, ne te découvre pas d’un fil ».
Le printemps s’installe mais les journées peuvent être soudainement fraîches. La journée ensoleillée peut laisser la place à des gelées pendant la nuit. C’est un appel à être alerte et vigilant, non pas à travers plus de contrôle, mais à travers plus de présence. Ne pas se laisser emballer tout en accueillant l’innocence et l’impulse créatif du printemps. Ne pas se brûler avec ce réveil du feu mais le contenir et nourrir les graines jusqu’à leur maturité pour qu’elles produisent de nouvelles graines à leur tour.
Il s’agit de trouver l’équilibre entre notre essence et la structure qui porte celle-ci à travers le temps. C’est comme marcher sur un fil, je dois être présent à chaque respiration, à chaque mot, pour ne pas tomber d’un côté ou de l’autre.
Rejeter la structure c’est laisser la place à une structure inconsciente. Notre « structure » est par défaut la névrose que nous avons développé en tant enfant pour gérer notre réalité passée. Nous risquons de vivre d’éclats de courts instants et nous n’arrivons pas au but des choses. Nous ne prenons pas la responsabilité de notre impact et nous accusons l’autre, les autres, de notre faillite. Nous finissons par vivre de drames pour nourrir cet éclat perdu. Nous avons du mal à nous manifester dans la matière.
Nos mots se répètent comme des boucles, ils sont ennuyants et toxiques pour les autres qui font semblant d’écouter pour à leur tour vider leur sac le moment venu. Nous nous pensons libres mais nous répétons les drames du passé, cherchant inconsciemment une solution pour que nos parents reconnaissent notre essence et la portent.
Privilégiant la structure, nous nous identifions à la forme qui doit durer car elle est ce que nous sommes devenus. Nous restons attachés à des bagages devenus inutiles et trop lourds (relations, travail, habitudes, croyances, …). Le feu intérieur s’éteint et nous nous refroidissons. Nous avons donc besoin du regard de l’autre et de sa validation comme un feu extérieur pour nous réchauffer et maintenir cette illusion d’être sur le droit chemin. Nos mots servent à justifier cet attachement et cette identification. Nous produisons une constellation pour enfin être « vu » par nos parents.
Dans les deux cas, nous accentuons une tendance en réaction au passé et nous souffrons.
Notre insécurité nous empêche de changer. La peur du vide et de la séparation nous fait réagir comme si nous devions nous défendre d’un réel danger. Dans cet état, nos mots sont comme des bruits qui essaient en vain de combler ce vide que nous ne pouvons ni accueillir et ni contempler.
C’est dans ce même vide que nous pouvons accueillir les sensations et émotions non digérées de notre enfance qui nous contrôlent encore inconsciemment aujourd’hui. Là où notre passé s’agite face à l’inconnu. Là où nos mots vont automatiquement blesser quelqu’un que nous aimons.
Enfants, complètement dépendants de l’autre pour notre survie (souvent les parents), en pleine croissance, notre système nerveux et notre psyché ne pouvaient pas accueillir l’absence de certitude. La séparation, l’abandon, le rejet, le jugement de qui nous étions, … rimaient inconsciemment avec une mort certaine ! Développer une névrose nous a permis de gérer cette situation inacceptable et de continuer à « fonctionner ».
En tant qu’adulte, nous avons la capacité d’accueillir ces mémoires et laisser aller nos systèmes de défenses devenus inutiles.
Ce vide est la possibilité de toucher notre mental neutre (4), là où nous pouvons reconnaitre nos tendances et laisser jaillir la forme qui servira notre essence. Ce vide où l’essence et la forme ne font qu’un, comme dans une danse.
Dans cette danse, mes mots ne sont qu’expression du moment où l’illimité et le limité se rencontrent. Mes mots s’enchaînent avec mélodie et rythme, fidèles au silence, parfois posant la limite et la contraction, parfois posant la folie et l’expansion.
Comme sur un fil, suspendu entre deux dimensions qui semblent s’opposer, je fais l’expérience de ma « structuressence », d’un équilibre éphémère mais qui semble éternel.
Dans cette perspective, ce que nous vivons aujourd’hui à travers la crise économique et politique, l’inflation, l’impossibilité de projeter un sens de sécurité sur nos institutions qui semblent si fragiles est à la fois un danger et une opportunité.
Danger si nous nous noyons dans l’insécurité et le doute, comme l’enfant sans ses parents.
Opportunité, si nous sommes stables et confiants. Nous pouvons ainsi percevoir l’effondrement d’une structure collective qui maintient un sens de sécurité au détriment de l’innocence et de la joie, au détriment de la spontanéité et de la créativité, comme l’ouverture d’un nouveau champ des possibles où la structure sert la joie !
Seul le mental neutre peut nous permettre de contempler cette tension sans tomber dans l’hystérie collective, sans trouver de coupable à l’extérieur, sans créer de conflits pour nous éloigner de nos peurs, sans tomber dans l’abus pour ne plus (res)sentir.
Utilisons cette période pour questionner nos habitudes, nos croyances, notre sens de sécurité ancré à l’extérieur, …
Écoutons nos maux et nos mots.
Méditons, méditons, méditons, … sans attente, et sans volonté de remplir un vide qui est sans fond.
En avril, restons sur le fil … du rasoir 🙂
KRIYA ET MÉDITATION
Kriya : Clarté des pensées (augmenter la capacité des poumons)
Méditation : Pauri 28 du Japji Sahib.
Il nous donne la possibilité de trouver la forme qui sert notre essence, et de trouver l’équilibre entre le soleil (feu, agni) et la lune (soma).